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Les évangéliques renforcent leur présence à l’ONU

INTERVIEW avec le nouveau chargé de plaidoyer à l'ONU pour les évangéliques

L’Alliance évangélique mondiale souhaite la bienvenue à son nouveau chargé de plaidoyer pour renforcer le bureau en faveur des droits de l’Homme à Genève. Ce bureau est accueilli et soutenu par le Réseau évangélique suisse.

Depuis 2012, l’Alliance Mondiale Evangélique (WEA) dispose d’une représentation permanente auprès des institutions pour les droits de l’Homme à l’ONU à Genève. Son objectif principal est de relayer les préoccupations des alliances évangéliques nationales auprès de leurs gouvernements afin de les inciter à prendre des décisions et des lois justes et respectueuses des minorités religieuses. Le 1er janvier 2018, l’équipe de la WEA à Genève a accuilli Wissam al-Saliby, expert en droits de l’Homme libanais, en tant que nouveau chargé de plaidoyer à temps plein.

Pourriez-vous nous parler de votre vie, en quelques mots?

Je suis Libanais. J’ai passé toute ma vie au Liban, y compris durant la guerre civile alors que j’étais enfant. A l’âge de 18 ans, j’ai commencé mes études de droits à l’Université Libanaise. Plus tard, j’ai reçu une bourse et j’ai poursuivi avec un master en droit international à Aix-en-Provence, en France, en me spécialisant dans la protection et la sécurité humaines. En parallèle, mon engagement auprès des ONG libanaises a été très formateur. Mon engagement civique dans un pays qui a vécu la guerre civile et dans une société multiconfessionnelle et multiculturelle a été une expérience qui m’a réellement marqué et enrichi.

En 2013, après avoir travaillé au Liban et dans sa région dans le domaine de la défense des droits de l’Homme et de l’éducation, et après 15 ans de vie de foi en Jésus Christ, j’ai commencé à travailler avec le Séminaire Arabe Baptiste Théologique (ABTS, Arab Baptist Theological Seminar) en tant que manager du développement et des relations partenaires. Je me suis senti appelé à utiliser les dons de Dieu et l’expérience qui m’a avait été donnée dans ce poste si stratégique.

A ABTS, j’ai rencontré mon épouse. Originaire du Texas, elle est venue au Liban à travers son Eglise pour être au service des filles et des femmes. Nous nous sommes mariés en 2015 et aujourd’hui, nous avons une adorable petite fille blonde aux yeux bleus.

Qu’est-ce que cela vous fait d’être une famille internationale, interculturelle?

J’admire les valeurs familiales de mon épouse et de sa famille et leur façon réfléchie de traiter les enfants. Elles étaient si différentes de celles que j’ai vues et avec lesquelles j’ai moi-même grandi au Liban. Mais ce qui est réellement surprenant dans notre vie maritale, c’est notre similitude, et à quel point nos valeurs et personnalités se ressemblent alors que nous venons de deux mondes complètement différents.

D’où vient votre intérêt pour les droits de l’Homme?

Quand j’étais au lycée, j’avais l’habitude de m’acheter le journal national chaque semaine et le Monde Diplomatique chaque mois. Depuis mon plus jeune âge, je me sentais concerné par les questions d’injustice et cela tombait sous le sens que je fasse des études de droit. Le premier pas a été de lire et de m’instruire sur le monde. C’était quelque peu inhabituel pour mon âge à l’époque. Mon choix d’études et de carrière a aussi été marqué par mon engagement civil auprès des ONG du Liban, surtout auprès de celles qui font un travail sur les cicatrices toujours pas guéries de la guerre civile.

Comment voyez-vous évoluer la famille évangélique dans le monde?

L’Eglise évangélique est en croissance, surtout dans les pays en développement où l’Eglise et les personnes de conviction évangélique sont en minorité. Comme ces Eglises se multiplient, les différences de dénomination deviendront moins importantes. Je pense néanmoins, d’après mon expérience à ABTS, que cette croissance ne se traduira pas forcément par des fondations théologiques stables. Auprès d’ABTS, j’ai également appris que le partenariat, les ponts et les relations entre les différents membres du Corps du Christ sont essentiels pour une croissance saine de l’Eglise et pour des fondations théologiques saines.

Quelle perspective avez-vous de la théologie des affaires publiques, c’est-à-dire la théologie qui aborde les aspects politiques de la vie en collectivité?

Le Sermon sur la montagne, les paraboles de Jésus et les centaines de passages de l’Ancien Testament nous guident lorsqu’il s’agit d’annoncer ce qui est juste et de défendre les droits des pauvres et des nécessiteux (Proverbes 32). La Bible nous enseigne de prendre soin des pauvres et ne les considère jamais comme responsable de leur propre pauvreté. J’ai récemment découvert un passage surprenant dans Ezéchiel, 16 :49, où il est dit “Voici quel a été le crime de Sodome, ta soeur. Elle avait de l’orgueil, elle vivait dans l’abondance et dans une insouciante sécurité, elle et ses filles, et elle ne soutenait pas la main du malheureux et de l’indigent”. Quelle remise en question de notre style de vie actuel!

C’est pour cela que la théologie des affaires publiques est une théologie de l’engagement pour les pauvres et les nécessiteux, pour les opprimés et ceux qui souffrent.

WEA Genève met l’accent sur le  processus de l’Examen Périodique Universel (EPU) car il vise une structure globale des droits de l’Homme et une relation entre les Etats. Où se situent les opportunités dans le contexte politique global actuel?

Actuellement, le contexte politique global est bien sombre, ce n’est nouveau pour personne. Le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les droits de l’Homme, Zeid Ra’ad, a récemment dit qu’il n’envisage pas de renouveler son mandat compte tenu de l’atmosphère déplorable pour la défense des droits de l’Homme. La montée des nationalismes dans de nombreux pays du globe menace les droits des minorités dont les minorités religieuses.

Dans une telle situation, tout ce qu’il reste à faire est de nous exprimer. Et l’EPU est devenu un mécanisme bien établi et rôdé, qui gagne continuellement en maturité, et qui offre à la société civile l’opportunité de se faire entendre à propos des nombreux enjeux des droits de l’Homme.

Quel est votre conseil pour les alliances évangéliques nationales en matière de développement des lois et des droits de l’Homme?

Dans notre monde interconnecté, un plaidoyer objectif et précis contre l’injustice, qui se fait entendre lors des forums internationaux, aura un impact local positif. Je n’en sais pas encore beaucoup sur les Alliances évangéliques nationales, mais je vois de nombreuses initiatives en faveur des droits de l’Homme un peu partout dans le monde arabe, qui luttent pour obtenir la bonne méthodologie et d’autres qui ont du succès parce qu’elles emploient la bonne méthode.

En plus de la bonne méthode, je conseillerais de défendre les droits de tous, parce qu’il ne peut y avoir de liberté religieuse pour les uns seulement ou de liberté d’expression pour tel ou tel groupe. La liberté et les droits de l’Homme sont pour tous et la défense des droits doit se faire en faveur de chacun.

Dans votre vie, vous avez traversé la guerre et les conflits civils. Quel conseil à retenir donneriez-vous à tous ceux ou celles qui ne comprennent pas ce type de situation?

J’avais tout juste 4 ans quand des groupes armés ont bombardé mon école. Nous jouions dans la cour, et les éclats de l’explosion tuèrent une petite fille et me blessèrent au cou. De cette blessure, j’ai gardé une cicatrice dans le cou. La guerre civile au Liban fut terrible, comme toutes les guerres. Quand tout s’écroule, le péché de l’homme atteint des niveaux inconnus. Et pourtant, dès la fin de la guerre civile, j’étais de retour dans une salle de classe, avec des enfants de communautés religieuses diverses, qui, ensemble, construisaient des amitiés. Avoir des salles de classe, où les enfants de tous les segments de la société, religieux ou ethniques, se retrouvent ensemble, permet de construire un avenir différent. Ainsi, l’amitié qu’ils développeront étant jeune les retiendra peut-être, dans le futur, à tourner leurs armes les uns contre les autres.

Et quel est votre message pour tous ceux qui souffrent à l’heure actuelle d’un tel fardeau?

En juin 2017, à ABTS, notre conférence annuelle portait le titre “L’Eglise en temps de crise : montrer la voie dans l’adversité”. L’un des thèmes était: comment faire face à la souffrance et à la persécution. Pour nous qui marchons à la suite du Christ, nous devons réparer l’injustice et apporter la guérison, tout en étant conscients que les ‘libertés’ économiques et sociales en elles-mêmes ne comblent pas l’aspiration profonde de l’homme à une paix réelle. Seule l’Evangile de la Paix nous apporte la paix réelle, la guérison et l’espérance.

De cette conférence, j’ai également retenu que l’Eglise a besoin d’une voix prophétique – afin d’envisager une réalité alternative à la réalité actuelle, où il serait mis fin aux souffrances et où la guérison et la réconciliation pourraient avoir lieu.

Suis WEA’s UN Team sur Twitter: @WEA_UN

Suis Wissam sur Twitter: @walsaliby