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Chrétiens et musulmans croient-ils au même Dieu?

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Introduction

Dans un monde globalisé qui devient pluriculturel et multi-religieux, il faut veiller à ce que les conflits qui peuvent en résulter soient résolus de façon aussi pacifique que possible. Dans notre pays où se côtoient aussi de plus en plus de cultures et de religions, nous devons trouver des pistes pour parvenir à une compréhension mutuelle. Nous nous devons d’avoir le souci de la paix confessionnelle et religieuse. Les efforts faits dans ce sens sont à soutenir en tous les cas, au même titre qu’une assistance est accordée à tout individu dans la détresse, indépendamment de son origine, de sa race ou de sa religion. Les habitants d’un pays sont responsables tous ensemble du maintien d’un État de droit démocratique et de la paix civile.

La célébration interreligieuse qui s’est déroulée à la cathédrale de Berne le 5 mars 2003 par exemple, avait pour but précisément de militer en faveur de la paix religieuse et de la paix dans le monde. Mais à cette visée purement « éthique » de la manifestation ont été joints également des éléments à caractère religieux. Les représentants des religions monothéistes ont fait une déclaration commune et ont, en même temps, ostensiblement déposé leurs écrits sacrés sur l’autel comme signe de leur « foi commune en un Dieu miséricordieux d’amour, de justice et de paix ». 

Le fait d’avoir des déclarations religieuses et des gestes symboliques en commun pose un certain nombre de questions d’ordre théologique et demande donc explication. Les chrétiens et les musulmans croient-ils au même Dieu? Les chrétiens peuvent-ils déclarer ensemble avec les musulmans: « Nous donnons témoignage du message des prophètes dans nos Écritures Saintes » sans reconnaître implicitement, par là même, Mahomet comme prophète? La volonté d’œuvrer en faveur de la paix et de la cohésion sociale ne doit-elle pas se traduire autrement que par une célébration à composante religieuse? 

Ce document de réflexion s’intéresse aux implications théologiques touchant aux relations entre islam et christianisme avant de proposer, en conclusion, une série de recommandations. Les points analysés sont les suivants : 

1. La théologie (la doctrine de Dieu) 

2. La christologie (la doctrine du Christ) 

3. La sotériologie (la doctrine du salut) 

1. La doctrine de Dieu

1.1. À propos du nom "Allah"

Allah est un nom pré-islamique que l’on peut traduire par « Dieu ». On sait que le mot « Allah » est formé de al (le) et de ilah (dieu). Avant l’apparition de l’islam, ce nom désignait déjà l’Être suprême, Dieu. Mahomet s’est approprié ce nom et l’a contracté en « Allah » pour désigner le Dieu de l’islam. Depuis lors, les musulmans sont persuadés qu’Allah, ainsi qu’ils le comprennent, est le seul vrai Dieu.

Les Juifs et les chrétiens qui vivent dans des pays arabophones ne se sont pas laissés dépouiller du nom d’Allah et continuent de l’utiliser pour désigner Yahweh ou le Père de Jésus-Christ. Il faut savoir en effet qu’il n’existe en arabe aucun autre mot pour désigner Dieu. Cette remarque vaut également pour l’époque antérieure à l’apparition de l’islam. Ainsi, les textes du Concile de Nicée (381), auquel participèrent six évêques de langue arabe, furent, avec le Symbole des Apôtres, publiés en arabe, en rendant le nom de « Dieu » par « Allah ».

Dès l’origine, Allah est un nom générique et non un nom divin, tout comme l’hébreu El ou Elohim, le grec Theos, ou le français dieu sont des noms génériques. Le nom générique ne renseigne pas sur la nature du dieu en question. C’est pourquoi les Juifs confessent l’Éternel en donnant la précision: « L’Éternel (YHWH), notre Dieu, est le seul Éternel (YHWH) » (Dt 6.4). Les chrétiens confessent Dieu en parlant de « Dieu, Père de notre Seigneur Jésus-Christ » (2 Co 1.3).

C’est de cette façon qu’est précisé, quant au fond et à la forme, quel est le Dieu en qui les personnes concernées croient. C’est donc faire preuve de bonne foi intellectuelle que de demander: « de quel dieu parles-tu quand tu utilises le mot Dieu? »

Le fait que les musulmans et les chrétiens arabophones utilisent le même nom Allah pour désigner Dieu ne suffit pas pour affirmer qu’ils croient au même Dieu.

1.2 Points communs entre la conception chrétienne et la conception musulmane de Dieu

Le christianisme et l’islam ont certains points communs en ce qui concerne leur conception de Dieu. Voici quelques-unes de ces convictions:
Dieu vit et règne; il est unique, éternel et infini.
Il est le créateur du ciel et de la terre, ainsi que de tout être humain.
Il est le juge du monde.
Il a communiqué sa Parole sainte et éternelle dans ses saintes Écritures.

En fait les similitudes entre les déclarations de la Bible et celles du Coran s’avèrent peu nombreuses et volent en éclats dès qu’il s’agit de déclarations décisives.

Les musulmans confessent qu’Allah est un (« tawhid », Sourate 112.1-4). Il n’a pas d’associé (Sourate 6.22-24) ni de fils (S. 2.116; 19.35). Allah est tellement transcendant qu’il n’entre en contact avec le genre humain qu’au travers de sa parole telle qu’elle est contenue dans le Coran. Si, de ce point de vue, la conception islamique d’Allah contient quelques accents de l’Apocalypse biblique, en revanche, les musulmans rejettent les vérités bibliques que les chrétiens considèrent comme centrales.

1.3 Différences

Le livre biblique de l’Apocalypse ne présente pas Dieu seulement comme un Dieu séparé de tout, mais aussi comme un Dieu qui vient au-devant de l’homme, qui s’adresse à lui et cherche à établir une relation avec lui. Il conclut avec l’homme une alliance par laquelle il s’engage (Jr 31; voir aussi les paroles de la Cène). Certes, il est au-dessus de tous les cieux, et insaisissable, mais il se penche vers ceux qui sont dans la poussière et les relève (És 57.15). Il agit vis-à-vis de son peuple selon la justice et la grâce. Il prend soin de son peuple comme le fait un bon berger et se soucie de chaque croyant séparément (Éz 34; Jn 10; Ps 23). Il se définit comme l’Époux qui choisit Israël comme Épouse (Os 2.18-19).

Le point culminant de l’intérêt témoigné par Dieu aux hommes se trouve dans l’incarnation de son Fils. En Jésus de Nazareth, Dieu se fait homme et partage tous les aspects de notre vie, y compris la mort. Désormais, par le Saint-Esprit, Dieu établit sa demeure dans le cœur des croyants (Jn 14.23; 1 Co 3.16). On ne peut imaginer proximité plus grande entre Dieu et l’être humain.

Les musulmans estiment inconvenant de s’adresser à Dieu comme à un père et de considérer les croyants comme les enfants de Dieu. Ces concepts qui sont centraux pour les chrétiens sont choquants pour les musulmans qui les jugent trop humains.

La doctrine chrétienne de la Trinité est scandaleuse au plus haut point pour un musulman. Il faut savoir que Mahomet a très probablement reçu un enseignement erroné, hérétique, de la Trinité, qu’il a rejeté à juste titre. La Sourate 5.116 montre ce qu’il entendait par « Trinité »: Dieu, Marie, et Christ, le fils. Les chrétiens rejettent aussi cette conception comme étant une fausse doctrine. Il est vraisemblable que Mahomet n’eut jamais connaissance d’une juste doctrine concernant la Trinité.

Pour les musulmans, il est impossible d’associer une autre personne divine à Allah. C’est la pire des offenses (shirk, le « péché d’association », le seul que Dieu ne pardonnera pas, car c’est la pire forme de l’incrédulité). « Oui, ceux qui disent: Dieu est, en vérité, le troisième de trois, sont impies. Il n’y a de Dieu qu’un Dieu unique… Le Messie, fils de Marie, n’est qu’un prophète; les prophètes sont passés avant lui » (S. 5.73, 75; cf. S. 4.171-172).

La doctrine selon laquelle Dieu est un Dieu en trois personnes, et Jésus à la fois vrai Dieu et vrai homme, telle qu’elle a été formulée au Concile de Nicée (4ème siècle), appartient à l’une des confessions de foi les plus marquantes de l’Église chrétienne. Le Symbole de Nicée-Constantinople a toujours été dans l’histoire de l’Église le critère de la vraie foi. Même les chrétiens tolérants ne veulent pas avoir affaire aux sectes qui s’éloignent de cette doctrine, comme le font les Témoins de Jéhova. À l’époque de la Réforme, toutes les Églises réformées ont inclus la doctrine historique de la Trinité dans leurs confessions de foi.

Dans la Confession helvétique postérieure (1566), après avoir confirmé au début du chapitre 3 que Dieu est un, Bullinger écrit: « Nous ne croyons pas moins et nous l’enseignons, que ce Dieu infini, un et indivisible et sans mélange existe en trois personnes distinctes: Père, Fils et Saint-Esprit… » Cette confession de foi combat expressément les points de vue des Juifs, des musulmans et de tous ceux qui « dénigrent cette Trinité très sainte et très digne d’adoration ». Elle rejette également toutes les fausses doctrines qui voient le jour à l’intérieur de l’Église chrétienne à propos de la Trinité.

Comme les juifs et les musulmans, les chrétiens confessent que Dieu est l’unique créateur du monde. Mais les musulmans rejettent le témoignage néotestamentaire qui déclare que Jésus est le Fils de Dieu, ainsi que la doctrine de la Trinité qui lui est forcément associée. Pour eux, les chrétiens sont polythéistes.

Le rapprochement contemporain des trois grandes religions monothéistes (christianisme, judaïsme et islam) pour la prière en commun n’est possible qu’en raison de l’abandon de la doctrine trinitaire et de celle de la filiation divine de Jésus qui en découle. C’est ce que tend à démontrer la déclaration de Berne, qui occulte ce qui est spécifiquement chrétien. Jésus est rangé parmi les prophètes. Ce qui donne à penser que les Églises chrétiennes acceptent le point de vue musulman concernant Jésus.

Cette disposition à passer sous silence ou à nier les doctrines centrales de la foi chrétienne est le résultat de la théologie historico-critique de ces deux derniers siècles. Les « résultats » de cette théologie sont salués avec enthousiasme par les théologiens musulmans, car ils s’accommodent bien avec leur thèse selon laquelle la Bible contient un message falsifié et que par conséquent seul le Coran est l’authentique parole d’Allah. La critique des dogmes aux dix-huitième et au dix-neuvième siècle a laissé des traces… On a prétendu que la christologie s’est développée tardivement, que la filiation divine de Jésus dans le Nouveau Testament est apparue comme une conception postérieure de la communauté chrétienne, sans aucun rapport avec le Jésus historique. Dans ces aspects un certain nombre de théologiens, si on compare leurs thèses aux confessions de foi de l’Église ancienne, soutiennent des vues que l’on doit qualifier d’hérétiques. Alors que la christologie des Témoins de Jéhova par exemple est spontanément rejetée, d’aucuns seraient surpris du nombre de similitudes que l’on peut découvrir dans la littérature théologique moderne. Il n’est pas rare que la théologie, au niveau de l’exégèse, sape la doctrine de la Trinité et de la filiation divine de Jésus, même si elle continue de vouloir y adhérer au niveau de la théologie systématique. Cet écart ne peut se prolonger indéfiniment. La célébration interreligieuse de Berne, qui s’est s’abstenue de faire mention de ces questions pourtant au cœur de la foi chrétienne, en serait-elle l’illustration ?

Certains chrétiens prétendent que l’islam ne connaît pas un Dieu miséricordieux, ce qui n’est pas exact. Beaucoup d’invocations d’Allah dans les sourates commencent avec ces mots: « celui qui fait miséricorde » ou « le Miséricordieux ». Mais l’affirmation néotestamentaire: « Dieu est amour » (1 Jn 4.8, 10) est unique. Il existe entre le monothéisme moniste (islam) et le monothéisme trinitaire (christianisme) une différence de taille concernant la compréhension de l’amour. Cette différence est liée à la relation éternelle entre le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Pour aimer, il faut au moins être à deux. Il y a entre les trois personnes du Dieu trinitaire une communication éternelle d’amour. Dieu est amour. Il ne doit pas d’abord créer un vis-à-vis pour pouvoir donner suite à son amour. Il est amour éternel, communication éternelle. De là découle l’image biblique et chrétienne de l’homme: comme image de Dieu, l’homme est enclin à communiquer. La communauté éternelle d’amour (le Dieu trinitaire) est à l’origine de la communauté humaine. Les humains sont appelés à être en relations parce que Dieu lui-même est un Dieu de relations; ils sont appelés à vivre et à travailler ensemble parce que Dieu lui-même vit et agit au sein d’une trinité de personnes. Signalons en passant que l’éthique sociale chrétienne est elle aussi, imprégnée d’une foi trinitaire (unité et pluralité).

Dans l’intérêt d’un dialogue honnête, il faut reconnaître que les musulmans et les chrétiens ne croient pas au même Dieu. Les musulmans condamnent les chrétiens comme « impies » et « stupides » (S. 5.72; 9.30) à cause des affirmations fondamentales de leur foi. Notons que l’accusation vient de la part des musulmans, l’islam étant une religion postérieure au christianisme, une religion qui prétend être un retour à la vraie foi que les juifs et les chrétiens auraient falsifiée (S. 9.31, 33).

2. La christologie

2.1. Ce que le Coran dit de Jésus

La déclaration de la Sourate 19.21.

Quinze des 114 sourates du Coran contiennent des références à Jésus. Aucune sourate n’est consacrée exclusivement à son œuvre. Pour avoir le portrait que le Coran brosse de Jésus, nous devons nous appuyer sur les 93 passages épars dans le livre sacré des musulmans. Voici les principales déclarations:
Sourate 3.45: Jésus est illustre dans ce monde et dans la vie future.
Sourate 4.158: Dieu l’a élevé vers lui.
Sourate 4.171: Il est le Messie, la Parole de Dieu, l’Esprit de Dieu.
Sourate 5.110: Il a créé la vie, guéri des malades et ressuscité des morts.
Sourate 19.19: Il était pur, sans péché.
Sourate 19.20: Il naquit d’une vierge.
Sourate 19.21: Il est un signe pour les hommes.
Sourate 19.34: Il est la Parole de Vérité.
Sourate 43.61: Jésus connaît l’heure (du jugement).
Sourate 43.63: Il est venu avec des preuves manifestes.

Ces déclarations du Coran sont remarquables. Il est significatif que le Coran, même lorsqu’il s’en prend violemment à la doctrine chrétienne, n’attribue jamais un péché à Jésus. Ce témoignage n’est pas rendu aux autres prophètes. Même pour les musulmans, Jésus est une personne incomparable. Malgré cela, l’islam enseigne que Jésus n’est qu’un prophète, même s’il est spécial (S. 4.171). Il n’était qu’un prophète pour le peuple d’Israël (S. 43.59) ce que contredit d’ailleurs

Il va de soi que dans la conception musulmane, Mahomet est supérieur à Jésus et qu’il est le dernier prophète. La Sourate 19.35 rejette l’idée que Jésus est Fils de Dieu, même si le texte reconnaît beaucoup d’attributs à Jésus. Mahomet avait une notion très terre à terre de la filiation divine de Jésus, comme si Dieu avait eu une relation sexuelle avec une femme pour engendrer Jésus.

2.2. L'islam rejette certaines déclarations bibliques concernant Jésus.

Dans la conception musulmane, Jésus a prêché et guéri. Mais il n’a aucun rôle rédempteur, car l’islam ne reconnaît aucun rédempteur au sens propre.

Les musulmans considèrent les affirmations néotestamentaires suivantes comme des fausses doctrines:

* Jésus est mort sur la croix. 

* Jésus est ressuscité d’entre les morts. 

* Jésus est le Sauveur. 

* Jésus est le Messie annoncé dans l’Ancien Testament. 

* Jésus est le Fils de Dieu, devenu homme. 

* Jésus est la deuxième personne de la Trinité. 

Allah ne s’adresse aux hommes que par sa Parole, et celle-ci est le plus souvent formulée sous la forme de prescriptions légales. C’est pour faire connaître sa Parole qu’il a choisi des prophètes et des envoyés. Allah a fait copier à l’intention de Mahomet un exemplaire du Coran conservé au ciel.

Les chrétiens vénèrent la Bible comme étant la Parole de Dieu, écrite par des hommes conduits par le Saint-Esprit. C’est par cette Parole que Dieu se révèle aux humains. Le centre de gravité de la proclamation chrétienne est celui-ci: la Parole a été faite chair (Jn 1.14). Dieu ne se révèle pas seulement par des mots, mais aussi en s’incarnant dans un homme.

Allah ne s’approche jamais à ce point des hommes. Cette déclaration biblique, et bien d’autres encore concernant Jésus, étant inacceptable pour les musulmans, ils affirment que la Bible que l’on possède aujourd’hui est remplie d’erreurs, raison pour laquelle Mahomet a dû apporter le Coran. Toute parole à propos de Jésus qui ne cadre pas avec ce que le Coran en dit est dès lors rejetée comme falsification.

D’après le Coran, Jésus a confirmé la Torah et reçu l’Évangile (S. 5.46). Pour le musulman, le mot « évangile » ne désigne toutefois pas la bonne nouvelle du règne libérateur de Dieu, mais l’annonce des exigences d’Allah. Jésus n’est que le « serviteur de Dieu » (S. 19.30) dont la mission consiste à appeler les hommes à se soumettre à Dieu et à devenir ses serviteurs.

Cette conception supprime évidemment des paroles fondamentales prononcées par Jésus. La parabole du père qui court à la rencontre de son fils rentrant à la maison et le serre dans ses bras avant même que le fugitif ne confesse ses fautes est inconcevable dans le Coran. Il en est de même de toute référence à Dieu comme Père, ce lien privilégié que Jésus accorde à tous ceux qui le suivent (Luc 15; le « Notre Père; Jean 13-17; 20.17). Dans la religion musulmane, les croyants ne sont que des serviteurs qui ne peuvent jamais se définir comme des enfants de Dieu (S. 19.93).

La christologie du Nouveau Testament et l’image coranique de Jésus sont radicalement différentes, même si l’islam reprend certaines déclarations bibliques concernant Jésus. Pour le musulman, Jésus n’est qu’un prophète, inférieur à Mahomet. Le Coran et la Bible ne présentent pas seulement chacun un portrait différent de la personne de Jésus; ils diffèrent fondamentalement aussi quant à la prédication de Jésus.

Dans l’appel à la prière pour la paix tel que formulé à Berne, le nom de Jésus n’est même pas cité. Dit autrement : Jésus n’est-il envisagé que comme l’un des prophètes? En même temps, et pour la plus grande joie des musulmans, les représentants des Églises chrétiennes laissent à penser qu’elles reconnaissent Mahomet comme un prophète en confessant, avec eux : « Nous donnons témoignage du message des prophètes dans nos Écritures Saintes ». Mais parce que Mahomet nie que Jésus soit le Fils de Dieu venu en chair (Jean 1.14; 1 Jean 2.22-24), les chrétiens ne peuvent lui reconnaître ce statut.

3. La sotériologie

Il est indéniable qu’il existe dans la sotériologie des points communs entre l’islam et le christianisme.

L’islam et le christianisme exhortent par exemple les gens à adorer le Dieu tout-puissant et à lui rendre grâce. Seul le croyant obtient le pardon. Les commandements de Dieu, tels qu’ils sont contenus dans sa sainte Parole, définissent ce qui est péché. À la résurrection des morts, Dieu jugera tout homme selon le genre de vie qu’il aura mené.

Mais il faut aussi souligner des différences de nature fondamentale. Ainsi, le musulman se croit libre de pouvoir choisir entre le bien et le mal. Il doit se décider pour le bien. Mais s’il pèche, Dieu n’en est pas affecté. Le christianisme a, de son côté, clairement rejeté cette conception pélagienne et est convaincu que par lui-même l’homme est incapable de faire quoi que ce soit qui puisse supprimer sa faute devant Dieu ou lui valoir des mérites aux yeux de Dieu (Ro 3.10-12). L’islam enseigne que l’homme peut être agréable à Allah en pratiquant de bonnes œuvres et en gardant ses commandements. Mais c’est là une justification par la loi et les œuvres religieuses, ce que le christianisme rejette.

Pour le christianisme, croire, c’est confesser sa faute et sa perdition, et accepter la réconciliation avec Dieu par Jésus-Christ au moyen de la foi (2 Co 5.18-21, qui est une référence majeure à la mort de Jésus). Le musulman, lui, a une autre conception de la foi. Pour lui, croire, c’est reconnaître Dieu, lui rendre grâce et observer ses commandements. Il n’a pas besoin d’un médiateur pour cela. Le point central est la soumission à Allah. La religion musulmane rejette catégoriquement le point de vue néotestamentaire selon lequel les gens qui sont réconciliés avec Dieu sont désormais « enfants de Dieu » (1 Jn 3.1).

Cette comparaison brève et incomplète suffit cependant à convaincre que l’islam et le christianisme n’ont pas la même doctrine du salut.

En passant sous silence les points fondamentaux des confessions de foi chrétiennes traditionnelles, la déclaration du 5 mars 2003 à Berne « oublie » que ceux-ci ont souvent été acquis de haute lutte par d’innombrables chrétiens au cours de l’Histoire qui ont accepté de les défendre jusqu’au martyre. Peut-on, à l’égard de ceux qui sont actuellement persécutés, taire ces éléments vitaux de la foi?

Conclusions

De vrais contacts ne sont possibles que si l’on n’occulte pas la question de la vérité théologique. Il n’est pas constructif de vouloir aplanir les difficultés ou de mettre les religions sur un même plan par des déclarations acceptables par toutes les parties. Nous n’avons pas le droit de passer les différences sous silence. C’est précisément dans la mesure où les différences seront mises au jour que la tolérance pourra véritablement s’exercer. C’est la condition sine qua non d’un vrai dialogue en vue d’une coexistence paisible. Dans l’islam, l’image de Dieu et la vision du monde sont très liées. Pour les vrais musulmans, ces deux concepts sont difficilement conciliables avec la société libérale. Ne perdons pas de vue que le Coran et la tradition prophétique visent à long terme également la domination politique du monde par les musulmans. Il faut donc aussi aborder cette revendication de la communauté islamique dans les discussions. De manière générale, il faut un dialogue honnête.

La prière officielle avec des musulmans donne un mauvais signal. Les distinctions souvent évoquées entre « s’adresser ensemble à Dieu » ou « se tenir les uns à côté des autres devant Dieu » sont trop alambiquées pour être comprises des gens non initiés. Ces distinctions sont même réduites à néant dans la déclaration de Berne puisque celle-ci se réfère à la « foi commune en un Dieu miséricordieux ». La FEPS ne contredit-elle pas ainsi son propre document d’orientation de 1996? Le geste symbolique accompli par chacun des représentants des trois religions, en posant ses écrits sacrés sur l’autel, est très évocateur et fut perçu comme tel par les médias.

Les chrétiens s’adressent à Dieu, qui s’est révélé comme Père, Fils et Saint-Esprit, au nom de Jésus-Christ. Pour les musulmans qui se veulent fidèles à leur religion, une telle prière est idolâtre et péché impardonnable. Mais le chrétien sait qu’il ne peut s’approcher de Dieu sans évoquer le nom de Jésus et le Dieu trinitaire. Par souci de vérité, on ne peut, dans ce domaine non plus, masquer les différences.

La prière commune officielle feint quelque chose qui n’existe pas réellement. Dans les pays musulmans, on en est bien conscient. Autrement, il n’y aurait aucun mal à passer de l’islam au christianisme. Or ceux qui le font le font au péril de leur vie.

N’oublions pas non plus ceci: l’islam enseigne qu’au fond tous les hommes sont musulmans. Les chrétiens sont considérés comme des musulmans dégénérés. Les musulmans attendent donc des chrétiens qu’ils renoncent à leur fausse notion d’un Dieu trinitaire, à la filiation divine de Jésus et qu’ils reviennent à l’islam authentique. Lorsqu’en priant avec des musulmans, les chrétiens ne s’adressent qu’au Dieu Créateur, ils font croire à ces musulmans qu’ils sont sur la voie du retour à l’islam. C’est pourquoi la formulation: « Nous donnons témoignage du message des prophètes dans nos Écritures Saintes », donne à penser que les chrétiens reconnaissent Mahomet comme un prophète, ce qui est un leurre.

Dans les contacts avec les musulmans, nous recommandons de différencier les niveaux de dialogue suivants:
1. Au niveau des contacts personnels: Il est important que les chrétiens entretiennent des contacts avec les musulmans, ce qui favorise une meilleure compréhension réciproque. Les entretiens doivent être empreints de grand respect, et d’objectivité; les deux parties doivent être disposées à s’écouter mutuellement de manière attentive.
2. Au niveau de la collectivité: les chrétiens et les musulmans peuvent porter ensemble la responsabilité de projets officiels, sociaux ou humanitaires. Ils doivent s’engager à défendre ensemble la justice et la paix sociales, ainsi que la protection de l’environnement.
3. Au niveau missionnaire: auprès des musulmans, les chrétiens doivent témoigner avec tact que Jésus-Christ est la vérité. Cela suppose que le chrétien soit prêt à écouter attentivement le musulman, qu’il s’efforce de le comprendre, prenne au sérieux sa culture et son histoire et dissocie la culture occidentale de la foi chrétienne.

Document adopté par le Conseil de l’Alliance Évangélique Romande (AER)
Texte original (adopté par le Conseil de l’Alliance Évangélique de Suisse allemande): Glauben Christen und Muslime an den gleichen Gott?, Interreligiöse Feiern – wie weit dürfen wir gehen?
Rédaction: Jürg Buchegger, pasteur, Fischenthal
Conseil technique: Dr Andreas Maurer, Rüti
Traduction: Antoine Doriath
Relecture et adaptation: Jean-Paul Zürcher
© AER, juillet 2003

Annexes

1. Citations de sourates

2,116 : Et ils ont dit : « Allah s’est donné un fils » ! Gloire à Lui ! Non ! mais c’est à Lui qu’appartient ce qui est dans les cieux et la terre et c’est à Lui que tous obéissent.

4, 171 : Ô gens du Livre (Chrétiens), n’exagérez pas dans votre religion, et ne dites d’Allah que la vérité. Le Messie Jésus, fils de Marie, n’est qu’un Messager d’Allah, Sa parole qu’Il envoya à Marie, et un souffle (de vie) venant de Lui. Croyez donc en Allah et en Ses messagers. Et ne dites pas « Trois ». Cessez ! Ce sera meilleur pour vous. Allah n’est qu’un Dieu unique. Il est trop glorieux pour avoir un enfant. C’est à Lui qu’appartient tout ce qui est dans les cieux et sur la terre et Allah suffit comme protecteur.

5, 46 : Et Nous avons envoyé après eux Jésus, fils de Marie, pour confirmer ce qu’il y avait dans la Thora avant lui. Et Nous lui avons donné l’Evangile, où il y a guide et lumière, pour confirmer ce qu’il y avait dans la Thora avant lui, et un guide et une exhortation pour les pieux.

5, 116 : (Rappelle-leur) le moment où Allah dira : « Ô Jésus, fils de Marie, est-ce toi qui as dit aux gens : « Prenez-moi, ainsi que ma mère, pour deux divinités en dehors d’Allah ? » Il dira : Gloire et pureté à Toi ! … »

6,22-24 : Et le Jour où Nous les rassemblerons tous puis dirons à ceux qui auront donné des associés : « Où sont donc vos associés que vous prétendiez ? » Alors il ne leur restera comme excuse que de dire : « Par Allah notre Seigneur ! Nous n’étions jamais des associateurs ». Vois comment ils mentent à eux-mêmes ! Et comment les abandonnent (les associés) qu’ils inventaient !

9, 31 : Ils ont pris leurs rabbins et leurs moines, ainsi que le Christ fils de Marie, comme Seigneur en dehors d’Allah, alors qu’on ne leur a commandé que d’adorer un Dieu unique. Pas de divinité à part Lui ! Gloire à Lui ! Il est au-dessus de ce qu’ils (Lui) associent.

9, 33 : C’est Lui qui a envoyé Son messager avec la bonne direction et la religion de la vérité, afin qu’elle triomphe sur toute autre religion, quelque répulsion qu’en aient les associateurs.

19, 21 : Il dit : « Ainsi sera-t-il ! Cela M’est facile, a dit ton Seigneur ! Et Nous ferons de lui un signe pour les gens, et une miséricorde de Notre part. C’est une affaire déjà décidée ».

19, 30 : Mais (le bébé) dit : « Je suis vraiment le serviteur d’Allah. Il m’a donné le Livre et m’a désigné Prophète. »

19, 35 : Il ne convient pas à Allah de S’attribuer un fils…

19, 93 : Tous ceux qui sont dans les cieux et sur la terre se rendront auprès du Tout Miséricordieux, (sans exception), en serviteurs.

43, 59 : Il (Jésus) n’était qu’un Serviteur que Nous avions comblé de bienfaits et que Nous avions désigné en exemple aux Enfants d’Israël.

112, 1-4 : Dis : « Il est Allah, Unique. Allah, Le Seul à être imploré pour ce que nous désirons. Il n’a jamais engendré, n’a pas été engendré non plus. Et nul n’est égal à Lui ».

2. Symbole de Nicée-Constantinople

Nous croyons

en un seul Dieu, le Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, de toutes les choses visibles et invisibles ;

et en un seul Seigneur Jésus-Christ, le Fils unique de Dieu, engendré du Père avant tous les siècles, lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu, engendré non créé, consubstantiel au Père, par qui tout a été fait. Pour nous, les hommes, et pour notre salut, il est descendu des cieux ; par le Saint-Esprit il s’est incarné de la Vierge Marie, et s’est fait homme ; il a été crucifié pour nous sous Ponce Pilate ; il a souffert ; il a été enseveli ; il est ressuscité le troisième jour, selon les Ecritures, il est monté aux cieux ; il siège à la droite du Père et il reviendra en gloire juger les vivants et les morts, lui dont le règne n’aura pas de fin ;

et en l’Esprit-Saint, qui est Seigneur et qui vivifie ; qui procède du Père et du Fils ; qui ensemble avec le Père et le Fils est adoré et glorifié ; qui a parlé par les prophètes ;

en une seule Eglise sainte, catholique et apostolique. Nous confessons un seul baptême pour la rémission des péchés. Nous attendons la résurrection des morts et la vie du siècle à venir.

Amen.

3a. Déclaration et appel

Célébration interreligieuse le 5 mars 2003 à la cathédrale de Berne

« Renforcer le lien de la paix – en Suisse et dans le monde »

Nous,
Fédération des Eglises protestantes de Suisse
Conférence des évêques suisses
Eglise catholique chrétienne de Suisse
Fédération suisse des communautés israélites
Coordination des Organisations Islamiques Suisses,

partageons l’inquiétude de nombreuses personnes de notre pays face à l’atmosphère de crise et aux menaces qui pèsent sur la paix dans de nombreuses régions du monde. Cette grave inquiétude nous réunit en tant qu’Eglises et communautés religieuses de tradition différente.

Nous témoignons notre foi commune en un Dieu miséricordieux d’amour, de justice et de paix. Ce témoignage rendu à Dieu est inconciliable avec l’appel à la haine mutuelle et à la guerre. Légitimer une guerre par des arguments religieux émane d’une compréhension erronée de Dieu. Même à la guerre qui menace l’Irak il n’y a par conséquent pas de légitimation religieuse. Il ne devrait pas y avoir de guerre selon la volonté de Dieu.

Nous donnons témoignage du message des prophètes dans nos Ecritures Saintes. Ce message nous appelle à fournir une contribution concrète à l’amour, à la justice et à la paix. Nous nous préoccupons surtout des souffrances de la population civile.

Nous déclarons que notre prière et notre aide humanitaire valent pour tous les êtres humains dans la détresse et toutes les victimes de la violence, quelle que soit leur origine, leur race ou leur religion.

Nous déclarons que nous voulons maintenir la paix confessionnelle et religieuse en Suisse. Nous nous opposons à la tentative de susciter à partir de conflits politiques des fossés de méfiance et d’inimitié entre nos communautés religieuses. Les tensions et les guerres menaçantes dans le monde nous incitent à maintenir ici en Suisse notre respect réciproque, à consolider le dialogue entre nous et à renforcer le lien de la paix.

Nous invitons les communautés religieuses chrétiennes, juives et musulmanes des régions et des communes à se joindre à cette Déclaration et à notre prière.

Nous invitons les membres de ces communautés à aller les uns vers les autres dans la vie quotidienne, à l’école, au travail et à la maison, à créer des possibilités de rencontre et à cultiver l’hospitalité mutuelle.

Notre foi nous fait espérer une résolution sans violence ni guerre des conflits dans le monde. Nous demandons à Dieu qu’il nous aide et nous assiste.

Berne, Fribourg et Zurich, le 5 mars 2003

Fédération des Eglises protestantes de Suisse
Thomas Wipf, pasteur, président du Conseil de la FEPS

Conférence des évêques suisse
Monseigneur Amédée Grab, président

Eglise catholique chrétienne de Suisse
Fritz-René Müller, évêque

Fédération suisse des communautés israélites
Alfred Donath, président

Coordination des Organisations Islamiques Suisses
Farhad Afshar, co-président

3b. Communiqué de presse officiel de la FEPS (du 26.2.2003)

Par une célébration interreligieuse, la Fédération des Eglises protestantes de Suisse, la Conférence des évêques suisses, l’Eglise catholique chrétienne de Suisse, la Fédération des communautés israélites de Suisse et la Coordination des organisations islamiques de Suisse veulent signifier leur volonté de maintenir et de renforcer la paix religieuse.

Les Eglises et communautés religieuses se déclarent prêtes à contribuer au maintien de la paix religieuse. Elles refusent toute tentative de creuser un fossé de méfiance et d’inimitié entre elles et veulent renforcer le dialogue et le lien de paix qui les unit. Les Eglises et communautés religieuses déclarent qu’il n’y a pas de justification religieuse pour une guerre. Face aux tensions qui règnent dans le monde et à la menace d’une guerre, les différentes religions soulignent l’importance du respect mutuel, du dialogue et des efforts à entreprendre ensemble pour la paix. Il faut lutter contre une érosion de la tolérance entre les religions.

Elles témoigneront de cette volonté au cours d’une célébration interreligieuse à laquelle sont invités des personnalités religieuses et politiques ainsi que la population et qui aura lieu le 5 mars, à 17 h 30, au Münster de Berne. La célébration comprendra une déclaration commune et un appel des Eglises et communautés religieuses de Suisse ainsi qu’une prière pour la paix.

4. Bibliographie sélective

Le Coran
Le Coran, trad. de D. Masson, Bibliothèque de la Pléiade (Paris, éd. Gallimard, 1967)
Le Saint Coran (Royaume d’Arabie Séoudite, Presses du Complexe du Roi Fahd sous l’égide du Ministère du  » Hajj et des Waqf « , en l’an 1410 de l’Hégire)

Livres
s.a., Le peuple du Coran, trad. et adapt. de l’anglais Renée Rey et Paul Gesche (Méry-sur-Oise et Montpellier : Sator et MENA, 1989), 242 pp.
Berthoud Pierre sous dir., Islam et christianisme en dialogue paisible (Aix-en-Provence : éd. Kerygma, 2002), 38 pp.
Campbell William, Le Coran et la Bible, à la lumière de l’histoire et de la science (Marne-la-Vallée : éd. Farel, 19942), 344 pp.
Gesche Paul, Annoncer Christ aux musulmans (Grigny : éd. Ministère Évangélique parmi les Nations Arabophones MENA, 1993, éd. revue et augmentée), 335 pp.
Maurer Andreas, ABC de l’Islam (Romanel-sur-Lsne : éd. Ourania, 2002), 156 pp.
Moucarry C.G., La foi en questions, Au carrefour du christianisme et de l’islam, coll. Points de repère (Lausanne : PBU, 1984), 102 pp.
Schweitzer Louis sous dir., Conviction et dialogue, le dialogue interreligieux (Cléon d’Andran : coéd. Excelsis, Edifac et IEM, 2000), 226 pp.

Prise de position de l’Alliance Évangélique Suisse (AES):
Les musulmans en Suisse, informations et suggestions à l’adresse des chrétiens (2001), 15 pp.

Autres prises de positions de l’Alliance Évangélique de Suisse allemande (SEA) :
Menschen anderen Glaubens begegnen (1996), 9pp.
Interreligiöses Gebet (1998), 5pp.