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Nationalisme, populisme et identité évangélique

Alors que les citoyens suisses se préparent à élire leurs nouveaux représentants au Parlement, le RES publie une contribution de l’Alliance évangélique européenne (EEA), extraite du projet Issachar (source), s’intéressant à la question du nationalisme, du populisme et de l’identité évangélique. Lors de son assemblée générale en juin 2019, l’EEA a par ailleurs réagi aux montées populistes en publiant un appel à l’action invitant les chrétiens à renoncer à la peur et à « vivre ouvertement leur espérance et leurs valeurs bibliques sans crainte. »

Introduction : Quel est le problème ?

À une période où, en Europe, beaucoup s’engagent dans des politiques identitaires, il est nécessaire que les chrétiens aient une juste compréhension de leur propre identité et sachent que penser et comment prier et s’engager dans les questions politiques.

C’est notamment le cas devant la tentation de réagir en se conduisant comme un groupe identitaire en présence des défis du libéralisme et de l’islam.

Le mot « populisme » est un terme neutre que le dictionnaire définit ainsi : « Politique qui s’adresse aux classes populaires, fondée sur la critique des systèmes et de leurs représentants. » De même, le nationalisme revêt plusieurs formes. L’histoire européenne montre des exemples de mouvements nationalistes qui se sont efforcés de libérer des gens de l’oppression, mais aussi des exemples d’idéologie nationaliste à l’origine de divisions et de conflits. Nous devons donc apprendre à discerner quand nous, chrétiens, pouvons cautionner un mouvement populiste ou nationaliste et quand au contraire nous devons nous préparer à nous opposer à un programme nationaliste injuste et potentiellement dangereux.

Les slogans du populisme sont « le peuple », « les élites », « la volonté du peuple » et « les ennemis du peuple ». On peut trouver le populisme dans la droite radicale comme dans la gauche radicale. Il défend généralement une idéologie nativiste (l’idée que les États devraient être habités uniquement par des membres de groupes nés sur le sol national et que les éléments non-natifs constituent une menace). Le populisme soulève des questions qui n’ont que peu été abordées par les grands partis, comme l’immigration, la globalisation et l’intégration européenne.

Les mouvements populistes s’efforcent d’attirer ceux qui sont laissés pour compte économiquement et culturellement par une politique libérale et par le libéralisme qui rejette les valeurs traditionnelles. Le danger c’est que les mouvements populistes divisent la société en « nous les bons » le peuple réel, et les «autres, les mauvais, voire les méchants ». Dans la définition des « bons » et des « autres », les identités religieuses jouent un grand rôle dans plusieurs nations européennes. L’appel populiste pour un retour à l’héritage religieux de la nation se fonde souvent plus sur le sentiment d’appartenance que sur une croyance, sur la renaissance d’une identité religieuse héritée avec ses symboles et ses traditions mais sans véritable contenu spirituel.

Le nationalisme n’a pas de définition claire. Dans l’histoire, les luttes ethniques pour l’auto-détermination culturelle et politique, en particulier contre la domination coloniale, ont été considérées avec bienveillance. Mais le nationalisme ethnique s’expose à l’idolâtrie si l’État, les gens, la race exigent la loyauté suprême ; il a souvent conduit à la xénophobie et aux conflits. Les définitions du populisme et du nationalisme, ainsi que les caractéristiques des mouvements populistes et nationalistes sont détaillées dans l’annexe 1.

Évaluations chrétiennes des mouvements nationalistes modernes

Dans le contexte des considérations sur l’identité écossaise, Storrar (1990, p.31) déclare que le modèle biblique de relations entre l’Église et l’État comprend trois possibilités.

  1. Premièrement, ce qu’il appelle l’hypothèse pluraliste : l’Église, la nation et le royaume de Dieu agissent comme trois communautés distinctes mais reliées entre elles par un ensemble de relations déterminées par l’histoire biblique du salut. Ces relations ne peuvent pas se confondre sans causer du tort à chacune d’elles.

  2. Deuxièmement, l’hypothèse « incarnée » selon laquelle c’est seulement par Jésus-Christ que la sainte nation de l’Église trouve son identité. Celle-ci ne peut pas se réduire à la nationalité des peuples au milieu desquels elle vit, autrement l’Église serait simplement une institution nationale et non une institution chrétienne.

  3. Troisièmement, l’hypothèse missionnaire selon laquelle Église et nation seront toujours deux communautés séparées, chacune ayant sa propre mission, et non une seule communauté avec une identité commune excluant ainsi tout sentiment d’élan missionnaire en direction de la nation.

Dans l’optique de Storrar, si ces trois hypothèses font défaut, il existe une crise relationnelle entre une Église particulière et la nation.

Storrar prétend qu’une approche chrétienne de la culture qui se veut fidèle à l’exemple de Christ s’adaptera aux changements de contextes culturels (p.163). Cela signifie qu’à certaines périodes de l’histoire d’une nation, les chrétiens peuvent approuver plusieurs aspects de la culture dans laquelle ils vivent. À d’autres moments, ils peuvent être appelés à refuser des aspects de la culture ambiante en raison de leur loyauté première à Christ. Dans la plupart des situations, les chrétiens doivent s’efforcer de transformer la culture à la lumière de l’Évangile. Pour déterminer la réaction appropriée, il faut discerner ce qui se passe au sein de la nation et lui présenter les exigences de fidélité à Christ. Comme le déclare Reiner (2015, p.77), l’Église de Christ s’opposera à une culture pécheresse et corrompue, mais accepte et défend les aspects de la culture qui sont en accord avec la Parole de Dieu. L’annexe 2 développe d’autres commentaires sur le thème : « attitude biblique à l’égard des nations et identité ».

L’incapacité de maintenir une distinction entre notre loyauté à Christ et la culture au sein de laquelle nous vivons notre vocation de peuple saint a conduit à des situations dans lesquelles le christianisme a servi d’agent plutôt que de critique du nationalisme.

C’est évident dans le cas de l’Église Luthérienne en Allemagne dans les années 1930 lorsque les chrétiens allemands, religieux nationalistes, ont aligné la foi chrétienne et l’Église sur l’idéologie nazie, y compris sa politique antisémite. C’est contre ces nationalistes [la captivité de l’Église] que Bonhoeffer et Barth signèrent la déclaration Barmen en mai 1934, en confessant que c’est à Jésus-Christ que l’Église doit accorder sa loyauté suprême. Malheureusement un faux rapport entre l’Église et l’État est aussi une caractéristique de plusieurs idéologies nationalistes dans l’Europe contemporaine et elle touche toutes les régions géographiques et les grandes dénominations. Goudzwaard (1981, p.39-48) avertit que toute nation qui revendique un héritage chrétien peut tomber dans le piège d’une idéologie nationaliste par une lecture sélective de la Bible. Dès qu’une menace se fait sentir (elle peut provenir d’un humaniste séculier ou de l’idéologie islamiste), la tentation est forte de se replier sur une idéologie extrême et réclamer un pouvoir politique fort dans l’espoir de rétablir la fierté et l’identité nationales. Mais là où le principal souci de cette idéologie est de préserver les intérêts nationaux (et ceux-ci dictent ce qui est bien et juste) une idéologie nationaliste est à l’œuvre, et la nation est devenue une idole. Il est donc important de fixer des limites appropriées au nationalisme.

Dans le contexte canadien et du mouvement pour l’indépendance du Québec, des chrétiens ont essayé de voir où ces limites devaient être fixées. Leur point de départ était le besoin de respect pour la communauté à laquelle ils appartiennent et qui constitue le contexte dans lequel ils se développent en tant qu’êtres humains. L’identité culturelle est à la fois bonne et nécessaire ; elle communique aux gens un sentiment d’appartenance, mais il importe de rappeler que pour les chrétiens elle n’a qu’une autonomie limitée. Si le nationalisme alimente une loyauté absolue et autonome, il devient une idole qui détruit plutôt qu’il ne protège l’humanité.

Les évêques catholiques romains du Québec mirent en avant les conditions suivantes : ils considéraient un mouvement nationaliste éthiquement acceptable s’il prône une société plus juste, respecte les minorités, envisage de coopérer avec ses voisins et refuse de considérer la nation comme le bien suprême (Baum, 2001, p.108). D’autres ajoutèrent qu’un mouvement nationaliste devrait ouvrir la porte au renouveau culturel et humain. S’il s’est développé en réaction à un régime oppressif et aliénant, il devrait aider les gens à découvrir leur identité et leur liberté, et encourager une culture dans laquelle les gens peuvent découvrir leur vocation (Grand’Maison, cité par Baum, 1970, p.107, 183-184). Il évite ainsi le danger qu’un mouvement nationaliste, né peut-être d’une expérience d’oppression, néglige de rechercher la justice et la réconciliation, et perpétue un cycle d’oppression et de violence.

Plus récemment, en France, la Commission d’Éthique Protestante Évangélique (CEPE) a publié une lettre ouverte aux chrétiens votant ou tentés de voter pour le Front National. La lettre suggère que ces derniers étaient motivés par la colère contre le programme de plus en plus libéral des principaux partis, par le souci de voir l’augmentation du nombre de réfugiés avoir un impact sur la société française et par la crainte de l’islam. La Commission a souligné l’incompatibilité avec l’Évangile d’un mouvement qui réagit aux défis par la haine (Lettre ouverte à nos frères et sœurs évangéliques qui votent Front National, 11/12/15, source).

Aux Pays-Bas, Stegeman et Verheij ont réagi aux tentatives de certains hommes politiques d’anéantir la culture chrétienne, en réaffirmant que le devoir prioritaire des chrétiens est de suivre Christ et de travailler pour son royaume éternel. La culture chrétienne ne doit pas être mobilisée comme une force politique ni réduite à un programme politique. Par ailleurs, l’Évangile chrétien est une invitation adressée à tous, et n’est pas compatible avec le rejet des personnes ou des groupes, ni avec le manque de compassion. Il doit être en bénédiction à tous les peuples (Annexe 3, une traduction de Jeff Fountain).

Questions à se poser à propos des mouvements nationalistes et populistes

Dans le contexte des mouvements nationalistes en Europe, voici quelques questions qu’il est bon de se poser :

  1. Pour commencer, avons-nous une compréhension juste de notre identité en Christ ? Savons-nous qu’elle doit faire l’objet de notre première loyauté et que c’est elle qui déterminera notre comportement vis-à-vis de notre culture et notre nation ?

  2. Avons-nous la certitude que le parti ou le mouvement n’exigent pas une loyauté absolue ? L’idéologie du parti est-elle compatible avec notre loyauté primordiale à Christ ?

  3. Si un mouvement politique est né en réaction à un sentiment d’injustice ou d’oppression, identifie-t-il les problèmes avec exactitude, propose-t-il une solution réaliste qui contribuera au bien-être de l’ensemble de la communauté ? Ou cultive-t-il le sentiment de victimisation, de grief et de reproches contre d’autres groupes de la société ?

  4. Favorisera-t-il le développement humain, le respect de la culture, un sentiment d’identité et d’appartenance pour tous ?

  5. Respecte-t-il la démocratie, les droits de représentation et la justice pour tous ?

  6. Respecte-t-il les droits et les besoins des minorités, leur permet-il de participer à la vie de la société ?

  7. Respectera-t-il le droit des demandeurs d’asile et favorisera-t-il l’intégration des immigrants ?

  8. Favorisera-t-il un développement économique durable, la protection des gens vulnérables et des pauvres ?

  9. A-t-il l’intention de nouer des bonnes relations avec les pays voisins et de respecter les autres cultures ?

Conclusion

Les chrétiens doivent une loyauté primordiale à Christ. Mais nous vivons notre vocation dans le contexte d’une nation et d’une culture. À condition que nous reconnaissions que son autonomie est limitée, la nation peut nous procurer un sentiment positif d’appartenance et de communauté. Mais il nous faut toujours discerner les aspects de notre nation et de notre culture que nous pouvons approuver et ceux que nous devons contester à la lumière de la nature de Dieu révélée dans le récit biblique.

À une époque de recrudescence du nationalisme en Europe, il est vital que nous examinions attentivement et dans la fidélité à Christ les déclarations et l’idéologie des mouvements et partis politiques. Ne nous laissons pas égarer ni manipuler par des références aux « valeurs chrétiennes » ou à l’« héritage chrétien ». Si ces valeurs et programmes « chrétiens » ne sont pas en accord avec le caractère de notre Seigneur et sa Parole, il faut les combattre.

Annexes 1, 2 et 3
Appel à l’action